
Du produit au sens : comment les marques à succès occupent votre espace mentalArticleBranding
Pourquoi préférez-vous Nike à Adidas ? Pourquoi certains ne jurent que par Apple ? La réponse ne tient pas tant aux caractéristiques techniques qu'à ce que ces marques signifient pour vous. C'est la thèse centrale de Mark Batey dans son ouvrage « Brand Meaning », et elle change radicalement notre compréhension du marketing.
Batey bouscule les idées reçues : une marque n'est pas un produit avec un joli logo collé dessus. C'est un ensemble de significations qui existent uniquement dans votre esprit et qui pilotent vos décisions d'achat. Autrement dit : ce n'est pas ce que fait le produit qui compte, mais ce qu'il signifie pour vous.
Imaginez votre cerveau comme un immense réseau de connexions. Chaque fois que vous rencontrez une marque – en voyant une pub, en utilisant un produit, en passant devant un magasin – vous renforcez ces connexions. Les neuroscientifiques appellent ça un « engram ». Plus vous croisez la marque, plus ce réseau se densifie et définit ce qu'elle représente pour vous.
Le plus fascinant ? La plupart de ces associations se créent sans que vous vous en rendiez compte. Elles se forment dans des conditions de « faible implication consciente », comme disent les chercheurs. Voilà pourquoi vous avez du mal à expliquer rationnellement pourquoi vous adorez telle marque. Votre cerveau a déjà décidé, souvent à votre insu. Cette découverte issue des neurosciences bouleverse la manière dont on comprend le marketing.
C'est la première chose qui vous vient à l'esprit quand on mentionne une marque. FedEx ? Livraison rapide. Volvo ? Sécurité. Cette signification découle directement de ce que fait le produit et de ses bénéfices concrets. Elle correspond à la manière dont les consommateurs définissent spontanément une marque, presque par réflexe.
Cette dimension est essentielle car elle ancre la marque dans la réalité tangible. Sans cette base solide, impossible de construire quoi que ce soit de durable. Mais ce serait une erreur de s'arrêter là.
C'est là où ça devient vraiment intéressant. Cette signification touche vos valeurs profondes, vos aspirations, votre identité. Hallmark ne vend pas des cartes, mais la possibilité d'exprimer de l'amour. Tesla ne vend pas des voitures électriques, mais l'innovation et la conscience écologique. Cette dimension émotionnelle et symbolique opère souvent au niveau semi-conscient ou inconscient.
Elle puise dans les valeurs culturelles, les archétypes universels et les aspirations personnelles. C'est cette signification implicite qui explique pourquoi certaines marques deviennent des choix de vie, pas simplement des choix de consommation. Et c'est elle qui résiste le mieux à la concurrence, car elle touche à quelque chose de profondément personnel.
Les marques les plus puissantes créent une synergie parfaite entre ces deux dimensions. Prenez Harley-Davidson : l'expérience physique de chevaucher une moto vrombissante incarne littéralement les valeurs de liberté et de rébellion que porte la marque. Le pratique et le symbolique ne font qu'un.
Lorsque l'expérience concrète du produit évoque et renforce la signification symbolique de la marque, celle-ci atteint son potentiel maximum. C'est cette cohérence entre ce que vous vivez et ce que vous ressentez qui transforme une simple marque en une relation durable.
Toutes les marques ne naissent pas égales, et elles traversent généralement plusieurs stades dans leur développement. Au départ, on trouve les produits génériques, de simples commodités sans différenciation. Puis la marque émerge comme référence, offrant une garantie de qualité et de constance. À la troisième étape, elle développe une personnalité propre et crée un lien émotionnel avec les consommateurs.
Enfin, certaines marques accèdent au statut d'icône culturelle, porteuses de significations qui dépassent largement leur catégorie d'origine. À ce stade, elles ne vendent plus vraiment un produit : elles incarnent des valeurs, des modes de vie, des aspirations collectives. Nike ne parle plus vraiment de chaussures, mais de dépassement de soi et de réussite personnelle.
Cette évolution s'accompagne de deux transformations majeures. Premièrement, les marques iconiques sortent de leur catégorie produit pour entrer dans la culture au sens large. Elles deviennent des références que tout le monde comprend, même ceux qui n'achètent jamais leurs produits.
Deuxièmement, le centre de gravité de la marque se déplace progressivement du fabricant vers le consommateur. Au stade iconique, ce ne sont plus vraiment les entreprises qui possèdent leur marque : ce sont les consommateurs qui se l'approprient et en définissent le sens. Cette transition peut être déstabilisante pour les marques, mais c'est aussi le signe qu'elles ont atteint un statut exceptionnel.
La construction de la signification d'une marque s'appuie sur de nombreux éléments qu'il faut savoir orchestrer. L'expérience directe reste souvent la plus puissante, comme le démontre Starbucks qui a transformé la simple consommation de café en expérience sensorielle complète : l'odeur, l'ambiance, le rituel de la commande personnalisée. Chaque visite renforce ce que la marque signifie.
La publicité joue également un rôle crucial en cadrant et en modifiant les associations mentales. Mais attention : une pub efficace ne se contente pas d'être sponsorisée par une marque, elle doit lui être intrinsèquement liée. Elle façonne les connexions que votre cerveau établit entre la marque et certaines émotions, valeurs ou situations.
L'héritage et l'histoire de la marque constituent une autre source précieuse. Le patrimoine de Guinness, avec son rituel de service élaboré et son symbolisme du temps qui passe (cette fameuse attente avant la pinte parfaite), enrichit considérablement la signification de la marque. De même, l'essence même de la catégorie de produit peut nourrir le sens : en creusant le « pourquoi » fondamental d'un produit, les analystes découvrent souvent des significations profondes que les marques peuvent s'approprier.
Mais la question demeure, comment orchestrer avec intentionnalité ces éléments pour construire un marque saturé de sens pour vos clients. Le Graal semble insaisissable.
Voilà le problème : demander directement aux gens pourquoi ils préfèrent telle marque ne fonctionne pas vraiment. La recherche marketing traditionnelle s'avère largement insuffisante pour appréhender la signification des marques. La raison en est simple : une grande partie de cette signification demeure non verbale et inconsciente. Vos véritables motivations vous échappent en partie.
Batey identifie trois obstacles majeurs qui expliquent pourquoi les études classiques passent à côté de l'essentiel :
Pour contourner ces difficultés, Batey préconise le recours à des approches plus sophistiquées. Les techniques projectives permettent de faire parler les gens indirectement, en les amenant à révéler leurs associations sans s'en rendre compte.
Mais au-delà de ces techniques avancées, l'essentiel reste parfois plus simple : savoir créer les conditions d'un dialogue authentique où le consommateur s'exprime sans filtre. C'est dans ces moments de spontanéité que se révèlent les véritables émotions, les signes subtils et les significations profondes qu'il attache à une marque.
Cette approche par la signification transforme radicalement la manière d'aborder l'extension de marque et la diversification de la gamme de produits. Le succès d'une extension dépend moins de la similarité superficielle entre les produits que de la cohérence avec ce qui définit véritablement la marque dans l'esprit des consommateurs.
Quand Dove a étendu sa gamme au-delà du savon, c'est l'association profonde avec la douceur et l'hydratation qui a permis la transition – pas la simple appartenance à la catégorie « produits de toilette ». Cette logique change tout : on ne se demande plus si deux produits sont similaires, mais si l'extension est cohérente avec la signification centrale de la marque.
L'architecture de marque prend également une nouvelle dimension dans cette perspective. Que l'on opte pour une marque corporate comme Virgin, des marques duales comme Gillette Mach3, ou un portefeuille de marques mono comme celui de Procter & Gamble, chaque configuration génère des significations différentes.
Ces choix structurels ne sont pas que des décisions organisationnelles : ils influencent profondément la relation avec les consommateurs. Une marque ombrelle (branded house) transfère ses valeurs à tous ses produits, tandis qu'un portefeuille de marques distinctes (house of brands) permet à chacune de cultiver son propre univers de sens.
En matière de communication, Batey rappelle une vérité essentielle : tout communique, pas seulement la publicité. L'emballage, la distribution, le service client, le site web, chaque point de contact contribue à façonner la signification de la marque. Un service après-vente médiocre peut détruire en quelques minutes ce que des années de publicité ont construit.
Tout communique, pas seulement la publicité
Dans un monde où les médias se fragmentent et où les consommateurs exercent un contrôle croissant sur leur exposition aux messages commerciaux, cette vision holistique devient d'autant plus pertinente. Les consommateurs construisent leur compréhension de votre marque à partir de tous leurs points de contact avec elle, pas uniquement ceux que vous contrôlez directement.
Batey s'inspire des travaux de l'anthropologue McCracken pour décrire comment la signification circule dans la société. Elle part du monde culturel, imprègne les biens de consommation via la publicité et les systèmes de mode, puis est transférée aux individus par le biais de la consommation et des rituels. Ce processus n'est pas unidirectionnel : les consommateurs s'approprient activement les significations et les transforment.
Ce flux constant explique pourquoi certaines marques deviennent des phénomènes culturels tandis que d'autres restent de simples produits. Les marques qui réussissent sont celles qui savent capter les significations présentes dans la culture et les incarner de manière authentique et cohérente.
Les rituels occupent une place centrale dans ce mécanisme de transfert de signification. Les rituels d'échange, comme l'achat de cadeaux, les rituels de possession qui permettent de personnaliser un produit, les rituels de toilettage qui entretiennent la relation à un bien : tous contribuent à fixer et à enrichir la signification.
Batey cite l'exemple révélateur des tatouages arborant le logo Harley-Davidson, incarnation littérale du rôle identitaire que peut jouer une marque. À ce stade, la marque n'est plus un simple choix commercial, elle devient une partie intégrante de l'identité personnelle. C'est le stade ultime de l'appropriation.
L'enseignement principal de cette approche tient en une formule : il faut penser la gestion de marque comme une gestion de la signification. Cette perspective exige de comprendre les deux dimensions de la signification (primaire et implicite) et d'assurer la cohérence sur tous les points de contact. Elle impose aussi de respecter le fait que les consommateurs possèdent ultimement le sens de la marque.
Concrètement, cela signifie utiliser des méthodes de recherche adaptées pour accéder aux significations symboliques et implicites, et construire des significations qui répondent aux besoins humains fondamentaux ainsi qu'aux valeurs culturelles. Ce n'est plus une question de créativité publicitaire uniquement, mais de cohérence systémique.
Dans un environnement commercial où les avantages fonctionnels s'érodent rapidement et où la différenciation devient de plus en plus difficile, cette capacité à créer et à entretenir des significations riches et motivantes représente peut-être l'ultime source d'avantage concurrentiel. Les marques qui réussissent ne sont plus celles qui vendent le mieux leurs produits, mais celles qui offrent aux consommateurs les matériaux nécessaires pour construire leur identité et donner du sens à leur vie. Pas mal pour un simple logo, non ?
Pour suciter la curiosité
& la réflexion dans notre façon
de penser les identités de marque